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Automatiser le transport aérien: une utopie ?

Le projet européen IFATS (Innovative Future Air Transport System) doit s'achever en décembre 2006 par la simulation à l'échelle continentale d'un système aérien entièrement automatique. 

Choisir une solution extrême - l'automatisation du transport aérien à l'horizon 2050 - et analyser quels sont les points forts et les faiblesses d'un tel système entièrement automatique. C'est la démarche quelque peu iconoclaste que les participants d'IFATS (Innovative Future Air Transport System) ont adopté. Lancé en juillet 2004, ce projet européen mené dans le cadre du 6e PCRD doit s'achever en décembre 2006 par une simulation du système à l'échelle continentale. Coordinateur de l'ensemble de ce projet, Claude Le Tallec, Chargé de mission " Systèmes de drones " au sein du Département Conception et performance des systèmes (DCPS) nous présente cet exercice de réflexion pour le futur.

2 février 2051, aéroport de Roissy Charles de Gaulle. Un avion très gros-porteur décolle de la piste 27 gauche alors qu'un autre appareil est en phase d'approche pour un atterrissage imminent. Plus loin, un petit drone effectue sa mission quotidienne de surveillance aérienne. Au sol, un avion-cargo dont les roues sont équipées de moteurs électriques lui permettant de se déplacer au sol se rend en bout de piste pour décoller. Principale caractéristique de tous ces aéronefs : pas de pilote aux commandes ! Et si un commandant de bord est bien présent dans les transports de passagers, celui-ci ne pilote pas ! Les contrôleurs aériens ont également changé de fonction. Seuls des opérateurs au sol surveillent l'ensemble du système. Une utopie ? " Certains estiment que le tout automatique est un rêve inaccessible. Nous leur répondons : étudions la question. Si les solutions développées ne fonctionnent pas, nous reverrons notre copie ", répond Claude Le Tallec. D'où l'idée d'IFATS, un projet européen développé dans le cadre du 6e PCRD et doté d'un budget de 5,6 millions d'euros, dont 3 millions d'euros d'une subvention provenant de la Commission Européenne, la part de l'Onera s'élevant à 0,96 millions d'euros.

Coordonné par l'Onera, ce projet regroupe des centres de recherche (le DLR, le CIRA, l'Israël Institute of Technology et le Centre d'études de la Navigation Aérienne de Toulouse), une université (l'Université de Patras en Grèce) et des industriels (les Français EADS, Thales, Erdyn, l'Italien Alenia et l'Israélien IAI). " L'idée de ce projet est née de l'analyse d'études sur le transport aérien, notamment celle réalisée entre 1992 et 2001 sur la sécurité. On y découvre que durant cette période, 112 accidents d'avions, classés par catégories, ont entraîné la mort de 6922 personnes, la perte de contrôle en vol étant la catégorie la plus importante ", résume Claude Le Tallec. Dans ce contexte, pourquoi ne pas automatiser l'ensemble du transport aérien, l'existence des drones constituant une preuve formelle qu'un aéronef sans pilote à bord peut fonctionner.

Voyager à l'intérieur de tubes 4D

Reprenons le scénario futuriste d'un transport aérien entièrement automatisé à l'horizon 2050. Selon le concept IFATS, toutes les compagnies aériennes fournissent leurs demandes de vols à un système central, en indiquant notamment le type d'avion, le lieu et l'heure de départ et sa destination. " Prenons l'exemple d'un avion qui se rend de Paris à Boston et décolle le lundi matin à 8 h 00. Le système central va lui octroyer ce que l'on appelle un tube 4D, une sorte de tunnel virtuel qu'aucun autre avion ne pourra venir trouer au moment de son passage, tous ces tubes étant soigneusement séparés dans l'espace ou le temps. Dans ce cas, une collision devient impossible ", s'enthousiasme cet ingénieur, également pilote d'avion. Néanmoins, au cours de son trajet, cet appareil peut être obligé de changer de trajectoire, autrement dit de sortir de son tube 4D, en raison d'un orage par exemple. S'il dispose du temps nécessaire, l'avion demandera alors un nouveau tube 4D. En cas d'urgence, la distance spatio-temporelle séparant deux tubes est suffisante pour qu'un avion puisse néanmoins changer de position sans remettre en cause l'efficacité et la sécurité du système.

Aujourd'hui, s'il survient un problème mécanique à bord d'un avion, soit le pilote le résout, de plus en plus en actionnant des commandes à la demande de l'avion lui-même, celui-ci connaissant déjà la panne et sachant quelle est la solution. Avec IFATS, si l'avion ne dispose pas d'une solution à bord, et en l'absence de pilote, des experts au sol, à l'écoute 24 h sur 24 chez les constructeurs d'avion, vont pouvoir simuler des situations, en fonction de l'état de l'avion, pour en déduire la meilleure stratégie palliative possible. Il restera alors à télécharger celle-ci à bord de l'avion. " Il ne s'agit pas d'un système sans homme mais d'un système dans lequel les hommes se situent à des endroits différents ", souligne le coordinateur de ce projet. Autre avantage d'IFATS : tous les avions d'un constructeur seront alors connectés à ce dernier. Aussi la mémoire du logiciel des pannes va-t-elle disposer en permanence de toutes les pannes qui se sont produites précédemment sur tous les avions de ce constructeur, d'où une meilleure efficacité si un avion est confronté à un problème technique.

Encore beaucoup d'interrogations

Avec un système comme IFATS, plus de problème pour l'insertion des drones dans le trafic aérien, tous les aéronefs étant désormais des drones. Grâce à un système commercialisé à un prix accessible, les petits appareils comme les avions de tourisme pourront également en bénéficier. " En revanche, si certains de ces petits avions décident de ne pas être coopératifs, ils disposeront d'un espace aérien plus petit non utilisé par les tubes 4D ", précise Claude Le Tallec qui reconnaît que le développement du transport aérien automatisé va nécessiter une introduction énorme d'automatismes. Sans doute les défis à relever sont gigantesques, même si les technologies nécessaires sont, pour la plupart, déjà disponibles. Mais en contrepartie, les avantages d'un tel système sont considérables. Claude Le Tallec en cite un parmi tant d'autres : " Aujourd'hui, les approches des avions sont stabilisées très longtemps à l'avance. Avec l'introduction d'un automatisme, les approches seront plus rapides, d'où la possibilité d'imaginer alors des approches courbes et de réduire sensiblement les problèmes environnementaux aux abords des aéroports ".

" Pour autant, IFATS n'est pas un système magique ", s'empresse-t-il d'ajouter. Les ingénieurs n'ont peut-être pas encore tout imaginé techniquement. Par exemple, un avion parviendra-t-il à appréhender une situation à bord aussi bien qu'un pilote le fait aujourd'hui ? Tous les capteurs dont il sera équipé seront-ils suffisants pour lui permettre une telle prouesse ? En outre, le développement d'un tel système ne pourra se faire sans l'approbation de l'opinion publique. Le public acceptera-t-il en avion ce qu'il accepte déjà dans de nombreux transports terrestres, de laisser la conduite aux automates ? Par ailleurs, la mise en place d'un tel système entraînera l'apparition des opérateurs au sol dont la fonction sera différente et nécessitera la mise en place de nouvelles formations. Participant à IFATS, Antoine Joulia, jeune ingénieur de recherche, embauché récemment à l'Onera, au sein de DCPS, est conscient des défis qu'il faudra relever avant de voir peut-être un jour le développement de l'automatisation du transport aérien. " C'est très excitant de travailler sur un projet de ce type, d'autant plus que cela nous permet de collaborer avec des homologues étrangers qui ont parfois des approches et des conceptions très éloignées des nôtres. C'est donc une expérience très enrichissante ", conclut-il.

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