Portrait

L'aérodynamique pour passion

Directeur de recherche au sein du Département Aérodynamique Fondamentale et Expérimentale de l'Onera, Jean Délery quittera ses fonctions à la fin du mois de septembre 2004. Cependant, pas question de parler de retraite... 

Directeur de recherche au sein du Département Aérodynamique Fondamentale et Expérimentale (DAFE) de l'Onera, Jean Délery, atteint par la limite d'âge, quittera ses fonctions à la fin du mois de septembre 2004. Cependant, pas question de parler de retraite pour ce spécialiste de l'aérodynamique qui, durant quarante ans, a participé au développement de nombreux programmes en tant qu'expérimentateur et a connu deux révolutions : l'arrivée de l'informatique et le développement spectaculaire de la métrologie. Il compte en particulier poursuivre son activité d'enseignant qu'il a menée en parallèle durant toute sa carrière, estimant qu'il est indispensable d'enseigner une discipline si l'on souhaite la comprendre.

Jean Délery
Jean Délery

C'est le 1er mars 1964 que Jean Délery, jeune ingénieur de SupAéro, entre à l'Onera comme Ingénieur de Recherche à la Direction de l'Aérodynamique dirigée alors par l'Ingénieur Général Pierre Carrière, " un homme exceptionnel qui m'a presque tout appris sur le plan de la formation de base nécessaire pour un aérodynamicien ", souligne-t-il. " Je connaissais déjà l'Onera puisque j'y avais réalisé plusieurs stages d'étude auparavant. Aussi, après mon service militaire, j'ai demandé à être embauché dans cet établissement ". Il travaille alors au sein d'une division de recherche, dirigée par Maurice Sirieix, un expérimentateur hors pair, dans laquelle sont effectuées des études de base en aérodynamique, " des études à orientation fondamentale mais liées aux grands problèmes auxquels les industriels et les agences du secteur aéronautique et spatial sont confrontés ".

40 années d'études au service de l'aérodynamique

C'est ainsi que ce jeune ingénieur va commencer à travailler sur les problèmes d'arrière-corps pour les missiles, en particulier les missiles stratégiques, une activité assez originale, devenue depuis un savoir-faire traditionnel qui se poursuit aujourd'hui au sein du DAFE dans le cadre des programmes de développement des lanceurs spatiaux comme Ariane 5. En 1964, le supersonique Concorde ne vole pas encore, mais le projet est assez avancé. Cela dit, il reste encore beaucoup d'études en cours, notamment sur les groupes propulseurs de cet appareil, les entrées d'air, les arrière-corps et les tuyères. Aussi Jean Délery travaille-t-il au développement de méthodes de calcul pour les tuyères double flux du Concorde.

Arrière-corpsArrière-corps

Choc en transsonique Choc en transsonique

Au cours de sa carrière à Chalais-Meudon, cet ingénieur va pouvoir aborder de nombreux problèmes qui passionnent toute la communauté des aérodynamiciens. Ainsi il participe à la réalisation d'études concernant les problèmes dits " d'interaction onde de choc/couche limite ". Rappelons que dans les écoulements transsoniques ou supersoniques, apparaissent inévitablement des ondes de choc ce qui donne lieu à des phénomènes complexes. Or les retombées jouent un rôle très important dans les problèmes de prise d'air et d'arrière-corps ou encore dans les problèmes rencontrés par les ailes des avions transsoniques de la génération Airbus. " Ces recherches ont été orientées en particulier vers le développement de ce que nous appelons les profils supercritiques et l'étude des chocs qui s'y forment ", note Jean Délery.

Plus tard, dans le cadre du développement du programme Rafale, les équipes de Chalais-Meudon vont s'intéresser de près à ce que les spécialistes appellent les écoulements tourbillonnaires et aux problèmes causés par l'éclatement des tourbillons. Le Rafale est un avion de combat qui évolue à très grande incidence. Résultat : il se forme sur ses ailes des tourbillons extrêmement intenses qui peuvent éclater, d'où d'éventuels problèmes de stabilité de l'appareil. Les aérodynamiciens parlent alors d'instationnarités. " Pendant des années, nous avons travaillé sur ce sujet avec une approche assez fondamentale, de manière à bien comprendre les différents paramètres qui influent sur ce phénomène ", rappelle cet ingénieur qui, après avoir occupé différentes responsabilités au sein de l'Onera, est devenu Directeur de Recherche en décembre 1996 avant de prendre en charge la direction du DAFE à l'automne de l'année suivante.

Révolution de l'instrumentation et explosion des moyens informatiques

Durant ces 40 années, Chalais-Meudon a beaucoup changé selon Jean Délery. Sorte de " petit Modane " disposant de souffleries, certes plus petites, qui vont du subsonique à l'hypersonique, dans lesquelles passaient des maquettes, aujourd'hui, c'est un véritable centre de recherche en aérodynamique fondamentale dont les souffleries sont dédiées à des études de base. Quant aux souffleries, si elles n'ont pas beaucoup évolué, l'instrumentation dont elles disposent a connu une révolution, c'est incontestable. Sondes de pression multi-trous, interférométrie holographique, vélocimétrie laser, diffusion Raman et, plus récemment, PIV (vélocimétrie par images de particules), l'énumération de quelques-unes de ces techniques de mesure, parmi les plus sophistiquées, suffit à montrer l'extraordinaire révolution qui s'est produite dans ce domaine. Celle-ci s'est développée en parallèle avec l'explosion des moyens informatiques. " Grâce à l'arrivée d'ordinateurs très puissants, nous avons été en mesure de résoudre les équations de Navier-Stokes qui régissent les écoulements ".

Des évolutions qui ont changé la façon de travailler et obligent aujourd'hui les chercheurs à adopter une approche un peu différente des problèmes restant à résoudre. Parmi ceux-ci, les problèmes d'impact qui préoccupent le public selon Jean Délery, c'est-à-dire le bruit, la pollution, les tourbillons et les vibrations, autant de nuisances qui font qu'un aéronef peut entraîner des conséquences, tant au niveau de l'environnement que des passagers. Pour autant, il ne faut pas oublier les problèmes de performances en hypersonique, au cas où ce domaine viendrait à démarrer, mais aussi du supersonique où, bien que l'aérodynamique soit maîtrisée, il reste encore à travailler en particulier au niveau de la motorisation et du bang. Si l'aérodynamicien de Chalais-Meudon a tendance à penser qu'un avion supersonique de seconde génération verra le jour, à plus ou moins long terme, il se refuse néanmoins à faire des prévisions. " Certes, nous observons actuellement l'absence de grands programmes, mais nous ne manquons pas de travail et nous travaillons en particulier sur des phénomènes plus fondamentaux dont les retombées sont multiples ", constate-t-il en rappelant qu'à sa sortie de SupAéro en 1962, l'optimisme n'était déjà pas forcément de rigueur dans le milieu aéronautique.

Enseigner, conseiller et écrire

Tout au long de sa carrière, Jean Délery a dispensé de nombreux enseignements, en particulier à SupAéro, à l'ENSTA, à l'Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines et à la Fondation EPF. " Je pense que l'activité d'enseignant est complémentaire à celle de chercheur. En effet, si l'on souhaite comprendre une discipline, il faut l'enseigner. De plus, il est très important de rester au contact des jeunes avec lesquels les échanges sont toujours très riches ". Aussi, s'il arrête ses activités à l'Onera, Jean Délery n'a pas l'intention de jouer les retraités, bien au contraire. L'enseignement occupera donc une partie de son temps. Par ailleurs, il s'est vu confier des responsabilités au sein de l'Association Aéronautique et Astronautique de France (AAAF), et plus particulièrement de la Commission Aérodynamique, et doit écrire un livre avec des collègues américains et européens. En août dernier, Jean Délery s'est vu décerner l'Aerodynamics Award 2004 par l'American Institute of Aeronautics and Astronautics (AIAA) lors du congrès de Providence. Alors souhaitons-lui une retraite aussi riche sur le plan intellectuel que l'a été sa carrière professionnelle.

Interférence de choc
Interférence de choc

Retour à la liste