Le graphène, un matériau plein de promesses

Le graphène, une feuille de carbone d’un atome d’épaisseur, vient d’être mis à l’honneur par le prix Nobel de physique 2010. Annick Loiseau fait le point sur les recherches à l’ONERA en relation avec ce matériau révolutionnaire.

Vue d'artiste d’une feuille de graphène ( Jannick Meyer, Université deVienne, Autriche)

Vue d'artiste d’une feuille de graphène ( Jannick Meyer, Université deVienne, Autriche)

L'interview

Qu’est-ce que le graphène ?

Annick Loiseau : C’est une feuille d’atomes de carbone, reliés entre eux en formant des hexagones, comme un nid d’abeilles.  Lorsque ces feuilles sont empilées, on a du graphite, le même que dans nos mines de crayon. Les nanotubes de carbone, de très fins fils de carbone de quelques nanomètres (milliardièmes de mètres) de diamètre, sont des feuilles de graphène enroulées. Les nanotubes de carbone avaient déjà suscité un nombre considérable de recherches, c’est encore davantage le cas avec le graphène. Il faut dire que les travaux sur les nanotubes ont préparé ceux sur le graphène : les outils théoriques, les méthodes d’investigation et les compétences acquises sur les nanotubes servent pour le graphène.

Annick Loiseau , directeur de recherche à l'Onera présidente du Groupe de recherche international Graphène & nanotubes

Annick Loiseau , directeur de recherche

à l'ONERA présidente du Groupe de recherche international Graphène & nanotubes



Pourquoi un tel intérêt pour ce matériau ?

AL. : Tout d’abord, le graphène intéresse beaucoup les physiciens sur un plan théorique. C’est un matériau purement bidimensionnel (quasiment sans épaisseur), avec une physique particulière. C’est la première fois qu’on dispose d’un objet pour expérimenter cette physique et tester nos théories sur les objets bidimensionnels. Le graphène a aussi de nombreuses propriétés, qui le rendent très prometteur pour des applications. Des qualités mécaniques, tout d’abord : il est à la fois très résistant mécaniquement et souple si bien qu’on peut le modeler facilement. Mais ce sont surtout ses propriétés électriques et magnétiques qui

Image de microscopie tunnel d'une feuille de graphène fabrisur un substrat de céramique (SiC) [Source: Institut Néel, CNRS Grenoble]

Image de microscopie tunnel d'une feuille de graphène fabrisur un substrat de céramique (SiC) [Source: Institut Néel, CNRS Grenoble]

enthousiasment les chercheurs. Le graphène est un semi-métal, qu’on peut « doper » (ajouter des électrons ou en retirer pour changer ses propriétés) pour le rendre semi-conducteur, comme le silicium des circuits électroniques d’ordinateurs. On peut aussi jouer sur la nature du substrat sur lequel on le dépose pour modifier ses propriétés électroniques. Il va y avoir une phase d’apprentissage : les chercheurs doivent travailler sur sa mise en forme pour contrôler ses propriétés. Déjà, les recherches font très vite, notamment sur la fabrication des nanotubes. La méthode des prix Nobel n’est pas adaptée pour les applications, mais d’autres équipes ont mis au point des méthodes permettant de fabriquer du graphène sur de plus grande surfaces.

Quelles sont les recherches de l’ONERA sur le graphène ?

AL : Nous travaillons sur les nanotubes depuis près de 15 ans, nous nous sommes tout naturellement intéressés au graphène, dès 2002, mais le graphène n’était pas à la mode, et nous avons eu le plus grand mal à publier ces travaux. Sur le plan théorique, nous avons effectué des travaux précurseurs sur la croissance du graphène. Nous nous sommes intéressés à la façon dont le carbone s’organise sur une surface métallique, et nous avons montré que selon les conditions, il formait des nanotubes ou du graphène. La maîtrise de la croissance du graphène est fondamentale pour les applications. Côté applications, justement, nous développons depuis quatre ans des capteurs de gaz à base de nanotubes et de graphène. Les propriétés électroniques de ces matériaux sont sensibles à leur environnement. Ainsi, lorsqu’une molécule est absorbée sur du graphène ou sur un nanotube, elle modifie ses propriétés électroniques. On peut ainsi détecter la molécule, avec une très bonne sensibilité : on repère une molécule au milieu d’un milliard d’autres. Nous avons ainsi développé un banc de mesure de détection de gaz, qui fonctionne même à température variable et en environnement humide. Il  est très efficace pour les molécules contenant de l’azote, ce qui est le cas de beaucoup de polluants. L’ONERA travaille aussi sur la détection infrarouge, qui implique de travailler sur l’optique à l’échelle nanométrique [1] . Le graphène pourrait y jouer un rôle, mais nous n’en sommes qu’aux débuts.

Dispositif de mesure pour la détection de gaz. Image en microscopie à balayage. Le film peut être soit un film de nanotubes comme ici soit une membrane de graphène

Dispositif de mesure pour la détection de gaz. Image en microscopie à balayage.

Le film peut être soit un film de nanotubes comme ici soit une membrane de graphène

[1] Voir La deuxième jeunesse de l'optique sur www.onera.fr

Prix Nobel de physique 2010 pour le graphène



Le prix Nobel de physique vient d’être attribué à Andre Geim et Konstantin Novoselov, de l’université de Manchester en Grande Bretagne, pour « leurs expériences révolutionnaires sur un matériau bidimensionnel, le graphène. Ils ont été les premiers à isoler, identifier et caractériser une couche unique d’atomes de carbone, appelé graphène », selon les termes du Comité Nobel. Ils ont mis au point une méthode de fabrication à l’aide… d’un simple morceau de scotch. Ils collent celui-ci sur du graphite très pur, et arrachent ainsi de nombreuses feuilles de graphène. En repliant le scotch sur lui-même plusieurs fois, on diminue petit à petit le nombre de couches. Lorsqu’on dissout le scotch, on récupère des parties constituées d’une couche de graphène, mais aussi des parties plus épaisses. Reste alors le travail fastidieux de trier au microscope pour ne garder que les couches uniques. Geim et Novoselov, aujourd’hui âgés de 51 et 36 ans, ont aussi identifié les propriétés extraordinaires de ce graphène. Leur méthode de fabrication, très rustique, ne sera pas celle utilisée pour les applications. Mais elle a permis à des milliers de chercheurs de faire progresser les connaissances sur le graphène.

Quand les chercheurs se rassemblent

Annick Loiseau dirige le Groupe de recherche (GDR) sur les nanotubes et le graphène, créé par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en 2009, issu du GDR sur les nanotubes créé en 1998 à l’échelle nationale et en 2005 à l’échelle internationale. Son but : favoriser les échanges et les collaborations entre chercheurs pour structurer leurs recherches. « Ce groupe a créé une vraie communauté scientifique internationale soudée, avec beaucoup de valeur ajoutée par rapport aux collaborations standard : formation de chercheurs, aide pour des collaborations et des échanges entre équipes, partage de connaissances, discussions approfondies durant les conférences, organisation d’écoles thématiques pour les jeunes chercheurs, conférences et ateliers internationaux, aide aux étudiants pour participer à ces conférences et promouvoir leurs recherches… », indiquent ses responsables. Bref, ce GDR crée une véritable communauté scientifique, indispensable pour progresser sur ce type de sujets qui évoluent très vite. Plus de 60 laboratoires participent à ce GDR, venant de France mais aussi  de Belgique, du Canada, d’Espagne, d’Allemagne,  du Royaume Uni…

Les spécialistes du graphène en Corse



Le groupe de recherche sur les nanotubes et le graphène, dirigé par Annick Loiseau, a organisé du 12 au 22 octobre 2010 la première École thématique de recherche sur le graphène à l’Institut d’études scientifiques de Cargèse en Corse. Elle a rassemblé 80 participants, essentiellement des doctorants et des post-doctorants , ainsi qu’une vingtaine d'intervenants qui sont les meilleurs spécialistes mondiaux du domaine. On y entendra notamment l’un des prix Nobel, Konstantin Novoselov,  et Walt de Heer, dont le groupe a mis au point une méthode de fabrication de graphène utilisable par l’industrie presque en même temps que Novoselov et Geim ou encore Philippe Kim. Cette École fait le point sur les connaissances autour du graphène, mais aussi sur les recherches et les applications à venir.

 

Propos recueillis par Cécile Michaut, journaliste scientifique

 

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