Laboratoire

Un nouveau microscope pour "passer de l'observation à la mesure"

Le Laboratoire d'Etudes des Microstructures acquiert un nouveau microscope électronique à émission de champ pour étudier les microstructures. 

Microscope électronique microstructureOpérationnel dès février 2004, le nouveau microscope électronique à émission de champ conçu par LEO, une filiale du géant allemand Zeiss, représente un incontestable saut qualitatif. De belles étrennes pour le Laboratoire d'Etudes des Microstructures (LEM), une Unité Mixte CNRS/ONERA que dirige Denis Gratias au sein de la Branche Matériaux. Cet instrument exceptionnel, dont il n'existe que deux exemplaires dans le monde avec le microscope installé à Münster, va permettre en effet aux chercheurs qui s'intéressent aux microstructures, à la fois de façon théorique et expérimentale, de "passer de l'observation à la mesure". Coût total de l'opération : 1,5 millions d'euros financés par l'ONERA, le CNRS et la région Ile-de-France.

"Dans le domaine de la microscopie électronique, l'ONERA a toujours disposé d'instruments uniques et avant-gardistes", indique Annick Loiseau, Directeur de recherche au sein du LEM, qui rappelle que toute cette histoire a commencé avec la sonde de Castaing conçue à l'ONERA. Elle s'est poursuivie avec l'arrivée du microscope électronique à 1 million de volts dont la France ne comptait que trois exemplaires. En 1988 a été installé le 400 kV, suivi par le 200 kV dont il s'agissait là encore d'un des premiers à être utilisé. Aussi ce nouveau microscope électronique à émission de champ, installé dans les locaux du LEM en décembre 2003, et qui fait actuellement l'objet de tests, avant d'être définitivement opérationnel, représente-t-il une nouvelle page de cette histoire de la microscopie électronique à l'ONERA.

Un instrument attendu depuis longtemps

Les chercheurs du LEM sont d'autant plus heureux qu'ils attendaient cet instrument depuis longtemps. "Sur le plan scientifique, c'est un projet qui a été initié il y au moins huit ans", se souvient Annick Loiseau. Mais réunir environ 1,5 million d'euros pour l'achat du microscope lui-même et l'aménagement des locaux qu'il nécessite n'a pas été facile. Ainsi l'ONERA a financé la moitié du budget, la région Ile-de-France et le CNRS assurant l'autre moitié. Autre difficulté de ce projet : le choix de l'instrument. "Il s'agissait d'une décision stratégique très difficile à prendre. En effet, nous aurions pu choisir un microscope rôdé, livrable dans les six mois. Mais comme nous sommes fortement orientés dans la recherche fondamentale et que notre rôle est de préparer les techniques de demain, nous avons opté pour cet instrument plus avant-gardiste", indique Gilles Hug, Maître de recherche au LEM.

Ces deux chercheurs rappellent que le microscope de 400 kV, appareil unique en France qui, aux dires de ses utilisateurs, est irremplaçable pour effectuer certains travaux, affiche fièrement ses quinze ans. C'est dire si le choix d'un instrument est capital. Pas question en effet d'en changer après quelques années de bons et loyaux services. Le choix était d'autant plus risqué qu'au moment où la décision d'acheter ce microscope a été prise, celui-ci n'existait pas! "Des appareils de la même famille étaient disponibles chez LEO, mais le canon à émission de champ fabriqué par CEOS, une petite start-up de haute technologie, pour le compte de l'entreprise allemande n'était pas encore prêt", précise Gilles Hug qui ajoute que par rapport au plan initial du microscope, tout à été repensé, de la colonne aux circuits de vide en passant par l'électronique. D'où de nombreuses recherches menées au cours de ces trois dernières années chez l'industriel allemand et auxquelles les chercheurs du LEM ont collaboré dans le cadre du développement des détecteurs. "Nous avons beaucoup discuté quant à la configuration des détecteurs qui vont permettre de faire l'acquisition des signaux", déclarent-ils.

Un microscope technologiquement différent

Accueillir un tel instrument a nécessité quelques aménagements indispensables. "Un microscope électronique nécessite un environnement spécifique", rappelle Gilles Hug. Aussi les murs de la salle où est installé l'instrument ont-ils été recouverts d'un matériau permettant d'absorber les bruits intérieurs. Quant aux bruits extérieurs, des murs pleins suffisent à les arrêter. "Un microscope comme celui-ci est quasiment une sorte de microphone. Dès l'instant où il se produit des vibrations acoustiques, il va les ressentir", note-t-il. D'autre part, une dalle d'environ quinze tonnes, suspendue à des ressorts équipés d'amortisseurs et un plancher suspendu permettent d'isoler l'instrument des vibrations mécaniques. Par ailleurs, la climatisation a été conçue et réglée de manière à obtenir un flux d'air très laminaire. Enfin, six boucles de contre-réaction électromagnétique permettent, le cas échéant, d'annuler les variations du champ magnétique terrestre.

Vu de l'extérieur ce nouvel instrument ressemble à un microscope électronique classique. Pour autant, "technologiquement ce n'est plus le même", déclarent-ils. D'ores et déjà, les jeunes thésards et les post-docs notamment piaffent d'impatience devant cet appareil qui représente un saut qualitatif incontestable. Son constructeur a repensé totalement l'optique de sa colonne. Ainsi il dispose d'un canon à émission de champ de type Schottky : pour extraire les électrons une tension de quelques kilovolts est appliquée à une cathode monocristalline portée à une température de l'ordre de 2000K et sa tension d'extraction est de quelques k/volts, d'où une source de très grande brillance, "ce qui nous intéresse tout particulièrement pour observer de toutes petites zones", précisent-ils. Cet instrument possède également un dispositif d'éclairement de type Köhler qui, s'il est courant sur les microscopes photoniques classiques, est unique sur ce type d'appareil. Résultat : un éclairement très homogène et parfaitement calibré. "De la sorte, nous savons quel est l'angle d'illumination ce qui nous intéresse tout particulièrement ensuite pour faire des simulations", note Gilles Hug.

Autre dispositif particulièrement important de ce microscope électronique un filtre en énergie corrigé des aberrations grâce auquel les chercheurs pourront acquérir des images et des spectres de diffraction sans aberrations chromatiques ou étudier en détail le spectre en énergie des électrons avec une résolution en énergie inégalée pour un microscope en transmission. "Quand les électrons traversent un échantillon de l'ordre de 200 à 1 000 Angströms, ils subissent de multiples interactions inélastiques avec les atomes de l'échantillon. Aussi allons-nous obtenir une signature de chaque élément présent, de son environnement et des liaisons chimiques", explique Gilles Hug. C'est la raison pour laquelle les chercheurs de l'ONERA ont développé une caméra spécifique permettant de faire de l'acquisition rapide de spectres de très haute qualité. Telles sont quelques-unes des caractéristiques originales de ce microscope exceptionnel qui va modifier sans doute certains projets du laboratoire. "Nous adaptons beaucoup notre recherche aux outils dont nous disposons de façon à en tirer le maximum", constate Annick Loiseau.

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