Contrôle d’identité en plein vol

L’avion qui se présente à la tour de contrôle est-il bien celui qu’il prétend être ? Pour le vérifier, l’ONERA et ses partenaires  du laboratoire Sondra développent un système de reconnaissance basé sur l’utilisation des ondes radio ambiantes.

Zoom in the lab - Numéro 54



Dans le cadre de cette expérimentation, 

l'antenne de réception radar "contrôle"

les avions au voisinage de l'aéroport d'Orly.

Elle se trouve sur le toit d'un des bâtiments de 

l'ONERA à Palaiseau.

Pour vérifier l’identité d’une personne, il suffit de lui demander une pièce d’identité. Et pour savoir quel avion va bientôt atterrir, le contrôleur aérien doit se contenter… de demander au pilote. Aussi surprenant que cela paraisse, la vérification de l’identité d’un avion repose uniquement sur la confiance. C’est pourquoi le laboratoire franco-singapourien Sondra (ONERA, Supelec et deux institutions de Singapour), qui fête ses 10 ans en 2014, a lancé  un projet de reconnaissance des avions, reposant sur l’utilisation passive d’ondes radar. Une première thèse de doctorat a été récemment défendue sur ce sujet par Jonathan Pisane (Automatic target recognition using passive bistatic radar signals).



La zone d'expérimentation du radar passif de contrôle 

est la zone d'approche sud de l'aéroport d'Orly


 

Tel le loup qui se recouvre la patte de farine pour se faire passer pour la chèvre dans le conte du loup et des sept chevreaux, un pilote animé de mauvaises intentions peut facilement s’insérer dans le trafic aérien, en faisant croire qu’il est un autre avion. Par exemple, un avion de petite taille peut se faire passer pour un gros sans que les autorités s’en aperçoivent. Pour vérifier qu’il s’agit bien de l’avion déclaré, les chercheurs de la collaboration proposent d’utiliser les ondes radar déjà présentes dans l’environnement, dues aux antennes émettrices de télévision, de radio, de téléphonie mobile…  « Cette détection par « radars passifs » ne nécessite pas d’autorisation, alors que nous aurions dû en obtenir une si nous avions installé notre propre émetteur radar », indique Sylvain Azarian, responsable de ce projet baptisé Automatic Target Recognition.



L'antenne passive reçoit le signal de l'émetteur

dit d'opportunité par chemin direct et par réflexion

sur l'avion en mouvement



Le signal réfléchi par l'avion est décalé en fréquence par effet Doppler

dû à sa vitesse de déplacement. L'amplitude de ce signal est fonction de la forme et de la taille de cet avion.


 

En se réfléchissant sur les avions, ces ondes sont déformées selon la forme de l’avion. En comparant ces signaux radio en présence et en absence d’avion, il est possible de détecter ce dernier. Et même de le reconnaître, à condition de pouvoir le comparer à une base de données de signatures radar pour chaque type d’avions. Habituellement, cette base de données n’est pas basée sur le signal réel des avions, mais sur des calculs à partir de caractéristiques techniques de l’avion (taille, forme…). « L’originalité de notre approche est de construire cette base de données à partir d’avions réels en situation : nous avons enregistré les signaux radar de tout ce qui décolle et atterrit de l’aéroport d’Orly pendant une dizaine de jours, explique Sylvain Azarian. Comme nous avions accès à l’identité de chaque avion à l'instar des contrôleurs aériens, nous avons pu affecter un type de signal à un type d’avion. »

 

Sur le moniteur de contrôle, le spectre (distribution en fréquence) est affiché en fonction du temps écoulé. En haut la ligne verticale rouge représente le signal du radar émetteur seul, complètement stable. En bas, le trait oblique trahit le passage d'un aéronef : c'est sa signature. L'inclinaison renseigne sur sa vitesse, la couleur sur l'énergie électromagnétique renvoyée.

 

Pour l’instant, cette méthode ne peut que classer les avions par taille : petit, moyen ou gros, avec un taux de réussite de 95 %. « Cela peut paraître peu, mais cela permet par exemple de reconnaître un avions de ligne d’un chasseur, ou de repérer un petit avion caché derrière un gros, précise le chercheur. On décèle également un avion qui ne répond pas au contrôleur, ou un autre qui s’écarte de sa trajectoire normale dans un couloir aérien, et on peut donner l’alerte. » L’objectif est bien sûr d’améliorer la sécurité en anticipant d’éventuelles  actions terroristes.

L’avantage de cette méthode est son auto-apprentissage. Par exemple, si un nouvel avion arrive sur le marché, le système de reconnaissance le considèrera d’abord comme un avion inconnu, avant de l’intégrer dans la base de données si sa « signature » correspond au message d’identification qu’il émet (la totalité des cas si tout est normal). Cette technique peut s’adapter à n’importe quel aéroport. Mais comme les émetteurs radars sont disposés différemment à chaque endroit, il faut une dizaine de jours d’apprentissage au logiciel pour être opérationnel.





Une base de données garde les traces de tous les aéronefs et les classe selon leur type (ici de taille moyenne), grâce à leur identification radio (ADS-B). Une fois cette base de données suffisamment renseignée, le logiciel alerterait immédiatement du passage d'un aéronef dont la signature serait atypique par rapport à son signal d'identification. 

 

Au-delà de l’intérêt de ce système de reconnaissance automatique pour la sécurité, il est également parfait pour… démontrer les capacités de l’ONERA et de Supelec. En effet, pour des raisons pratiques, l’ensemble de l’acquisition des données 24 h/24 est contrôlable à distance via Internet. Des chercheurs français ont ainsi pu démontrer le concept et distinguer en temps réel les avions qui décollaient ou atterrissaient à Orly ! « On voit les perturbations, c’est très visuel et très clair même pour quelqu’un ne connaissant rien aux radars », s’enthousiasme Sylvain Azarian.

Les responsables du projet sont aujourd’hui en discussion avec une entreprise française spécialisée dans le radar, pour industrialiser cette technique. « Nous avons fait la démonstration que notre stratégie de reconnaissance fonctionnait, le reste est du ressort des industriels », estime le chercheur. Avis aux amateurs !

 

Cécile Michaut, journaliste scientifique

Iconographie ©Onera

 

Voir aussi : Le laboratoire Sondra fête ses dix ans à Singapour

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