Plasma à tout faire

Les recherches sur les plasmas, d’abord menées pour comprendre le foudroiement des avions, touchent aujourd’hui des domaines aussi variés que l’aéronautique, la combustion ou la furtivité. Les applications potentielles sont énormes, les difficultés aussi.

Numéro 26

Décharge filaire initiée par pseudospark dans la souflerie hypersonique R5ch

Décharge filaire initiée par pseudospark dans la souflerie hypersonique R5ch



 

Les recherches sur les plasmas, d’abord menées pour comprendre le foudroiement des avions, touchent aujourd’hui des domaines aussi variés que l’aéronautique, la combustion ou la furtivité. Les applications potentielles sont énormes, les difficultés aussi.

Soufflerie hypersonique à arc F4. Mesure de vitesse d'écoulement par entrainement d'une décharge filaire

Soufflerie hypersonique à arc F4. Mesure de vitesse d'écoulement par entrainement d'une décharge filaire

Pour le grand public, le mot « plasma » évoque les téléviseurs haut de gamme. Ou, pour les plus passionnés de science, la fusion nucléaire, au sein du soleil ou dans de futurs réacteurs. Mais pour les chercheurs de l’Onera, les plasmas peuvent être à l’origine de progrès extraordinaires dans de nombreux domaines. A condition de maîtriser ce quatrième état de la matière (qui s’ajoute aux phases solide, liquide et gazeuse). Les plasmas peuvent être créés à très haute température (par exemple dans les étoiles), à l’aide d’un arc électrique, ou par décharge électrique dans un gaz – on parle alors de plasma froid. Suivant le type de plasma, la totalité ou une fraction des atomes sont dépouillés de tous ou d’une partie de leurs électrons. Les ions positifs et les électrons se meuvent indépendamment les uns des autres, formant un fluide très conducteur aux propriétés excessivement complexes et variées.

Foudroiement



Les travaux sur le foudroiement des aéronefs ont commencé à l’Onéra dans les années quatre-vingts, pour des questions de sécurité des avions en vol. " Nous nous sommes d’abord intéressés aux plasmas pour comprendre la foudre, et prévenir les conséquences du foudroiement des avions ", rappelle Serge Larigaldie, spécialiste de la physique des plasmas à l’Onera. La foudre est en effet un des rares phénomènes naturels sur Terre où la matière est sous forme de plasma. Les chercheurs de l’Onera ont donc construit un générateur de décharges électriques capable de créer des phénomènes similaires à la foudre, en deux dimensions. Ils ont ainsi obtenu des éclairs "de laboratoire" d’un mètre de long, parfaitement rectilignes, qu’ils ont pu analyser précisément. En comparant les éclairs ainsi obtenus à des modèles théoriques basés sur la physique des plasmas, ils ont pu comprendre comment la foudre se propageait dans l’atmosphère. Puis comparer ces observations aux mesures de courant effectuées dans des avions instrumentés subissant la foudre.

Une maquette de laboratoire de l'éclair orageux, obtenue grâce à la technique dite des étincelles glissantes

Une maquette de laboratoire de l'éclair orageux, obtenue grâce à la technique dite des étincelles glissantes

 

La foudre n’est pas la seule source de plasmas dangereux pour les avions. Lorsqu’un appareil traverse un nuage de givre, de glace ou de neige, ses peintures se chargent électriquement par frottement avec ces particules. Les accumulations de charge, parfois énormes, créent des étincelles électriques dont les décharges peuvent provoquer des dégâts considérables. Certains accidents non élucidés pourraient être dus à ce type de phénomène. « Pour mieux comprendre ces décharges, nous avons fabriqué un jet d’air comprimé que l’on charge électriquement avec des micro-glaçons », relate Serge Larigaldie.

Ces glaçons sont envoyés sur une petite surface d’un avion au sol, et des récepteurs radio-électriques embarqués permettent de déceler les points sensibles. « Nous avons ainsi résolu les problèmes du Falcon 10 de chez Dassault, où l’électricité statique sur la carène (coque en fibre de verre recouvrant une antenne) induisait des étincelles sur le corps même de l’antenne HF qu’elle devait protéger. Ceci perturbait totalement les systèmes de radionavigation de l’avion lors de la traversée de nuages ». Il a suffit de recouvrir le carénage de l’antenne avec une peinture légèrement conductrice pour évacuer les charges statiques en préservant sa transparence au rayonnement électromagnétique.

Etincelles sur la paroi d'un avion soumise à une accumulation de charges électriques d'un même signe

Etincelles sur la paroi d'un avion soumise à une accumulation de charges électriques d'un même signe



Aéronautique

Mais Serge Larigaldie ne souhaite pas cantonner ses recherches à ces seules questions de sécurité. « J’essaie de contribuer à incorporer de la physique des plasmas dans l’aérodynamique, les radars, la combustion, et même dans la propulsion ionique de futures fusées », expose-t-il. Les plasmas pourraient par exemple diminuer la traînée d’onde en vol supersonique. En effet, le plasma, en chauffant l’air, change la vitesse du son et modifie donc ses propriétés aérodynamiques.

Les chercheurs de l’Onera ont disposé à l’avant de l’avion un générateur de plasma, composé d’une petite pointe à laquelle ils appliquent une haute tension. Des essais en souffleries à Mach 3 ont ainsi permis de stabiliser une onde de choc instationnaire, en ne dépensant qu’une faible énergie, environ 10 milliwatts. « Une petite décharge électrique sur une pointe engendre un plasma, qui influe sur les chocs de manière considérable et pourrait diminuer la traînée d’onde, assure Serge Larigaldie. Mais il est très difficile de comprendre exactement les raisons de ce résultat. » Ce ne sont pas les décharges les plus énergétiques qui ont le plus d’influence sur le choc.

Décharge électrique continue en appui sur une onde de choc à Mach 3

Décharge électrique continue en appui sur une onde de choc

à Mach 3



Combustion



Autre application des plasmas : la combustion. Lorsque le flux est trop fort, la flamme se " décroche " et s’éteint. L’idée est de créer un micro-plasma dans le brûleur, en appliquant une haute tension sur une pointe entourée d’un anneau recouvert d'isolant (pour éviter les arcs électriques). A chaque décharge, un jet de plasma se forme et rattache la flamme. " Avec une petite décharge, une flamme brûlant normalement à 6 centimètres du brûleur reste accrochée ", indique le chercheur. Là encore, cet effet complexe n’est pas totalement compris. Il semble que l'effet induit tende à faire revenir par instants la flamme vers la sortie du brûleur. Puis lorsque la flamme rencontre le plasma, elle s’y accroche. " L’impulsion plasma ne dure que 30 nanosecondes (30 milliardièmes de secondes), précise Serge Larigaldie. Ensuite, on observe une traînée de post-décharge. On pense jouer sur cette dernière à l’aide de la tension sur la pointe pour amplifier le phénomène de rattachement de la flamme. "

Accrochage d'une flamme de méthane par une décharge « à barrière diélectrique » sur les électrodes au dessus du brûleur

Accrochage d'une flamme de méthane par une décharge

" à barrière diélectrique " sur les électrodes au dessus du brûleur

Furtivité



La furtivité pourrait également bénéficier des progrès sur les plasmas. Les informations sur ces recherches confidentielles restent succinctes. Les entrées d’air créent un problème majeur de furtivité radar pour les avions de combat : elles renvoient l’écho d’un radar adverse dans la direction de ce dernier, à l’image des catadioptres des vélos qui reflètent si efficacement les rayons des phares. « Nous essayons de mettre dans l’entrée d’air des plasmas suffisamment denses pour absorber les ondes qui, ainsi, ne seront pas renvoyées », expose Serge Larigaldie. Les chercheurs de l’Onera ont découvert une décharge électrique d’un type peu connu, à faible puissance

Arc continu basse puissance (~150 W) en écoulement d'air à faible vitesse (~3 m/s)

Arc continu basse puissance (~150 W) en écoulement d'air à faible vitesse (~3 m/s)

(200 watts), qui absorbe notablement les micro-ondes.

Malheureusement, les chercheurs de l’Onera se sont récemment rendu compte que ce plasma ne supportait pas l’écoulement, et qu’il était « soufflé » pour des vitesses relativement basses. Ils tentent aujourd’hui de réduire cet effet.



Exploration spatiale

Trainée ionisée en sortie du propulseur ionique SPT50

 

Enfin, des recherches plus confidentielles concernent les propulseurs ioniques des satellites. La propulsion ionique consiste à expulser des particules chargées que l’on a préalablement accélérées à l’aide d’un champ électromagnétique. Il suffit d’éjecter peu de matière pour obtenir une forte poussée, et il est ainsi possible d’atteindre des vitesses d’éjection phénoménales, proches de la vitesse de la lumière.Les recherches de l’Onera consistent à utiliser le plasma lui-même pour accélérer les ions. Avec, comme but principal, l’augmentation du rendement de ces propulseurs. « Si ça marche, c’est la porte ouverte à l’exploration interplanétaire avec des sondes spatiales habitées », s’enthousiasme le chercheur.

Complexe et prometteur



L’aspect pluridisciplinaire de l’Onera est un avantage certain pour toutes ces recherches. En effet, l’organisme dispose d’équipes spécialisées dans tous ces domaines : combustion, aéronautique, furtivité, propulsion ionique, et bien sûr plasmas. Mais si ces recherches sont très prometteuses, elles sont aussi extrêmement complexes." Les premiers concepts ayant abouti aux téléviseurs à plasmas ont quarante ans, rappelle Serge Larigaldie, et les applications grand public ne sont apparues que récemment, malgré des efforts de recherche énormes. De même, les applications des recherches actuelles prendront du temps, mais elles auront vraisemblablement des conséquences très importantes."

Décharge de surface sur une vitre (tension de charge :180.000 volts)

Décharge de surface sur une vitre (tension de charge :180.000 volts)

 

Cécile Michaut, journaliste scientifique.

 

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