Innover avec l’ONERA : le spatial se met au vert

Depuis quelques années, pour répondre aux contraintes environnementales européennes, les industriels du spatial se sont engagés dans le développement de plateformes satellite à système propulsif électrique. Malgré son avantage en termes de réduction de poids, la propulsion électrique fournit une poussée limitée : l’ONERA creuse la piste d’un moteur hybride incluant la propulsion chimique.

La problématique

La propulsion électrique fournissant une poussée limitée, le délai de mise à poste est rallongé : d'une vingtaine d'heures avec la propulsion thermique, elle dure quelques mois avec un moteur électrique. De plus, le passage de la ceinture de Van Allen devient problématique. Une des pistes à l'étude : intégrer un module de propulsion chimique qui permettrait d'accélérer la phase de mise à poste du satellite et se détacherait juste avant que le satellite n'atteigne sa position finale. Objectif : proposer un moteur hybride. Dans le cadre du projet Hyprogeo, l'ONERA conçoit une chambre de combustion innovante et mène les essais combinant l’ensemble des éléments développés par les différents partenaires.


Interview de Pierre Millan, directeur du département Multi-physique pour l’énergétique MPE et de Jean-Yves Lestrade, ingénieur dans ce département.

La voie hybride

Laboratoire de propulsion du centre ONERA du Fauga-Mauzac
Laboratoire de propulsion du centre ONERA
du Fauga-Mauzac

Pour la conception de ce module chimique, l'ONERA étudie la solution d'un moteur hybride, compatible avec des applications satellite. En effet, aujourd'hui, la mise à poste des satellites par propulsion chimique est assurée par des moteurs MMH/NTO. Or, la MMH, un dérivé de l'hydrazine, figure sur la liste REACh (Registration, Evaluation, Authorisation and Restriction of Chemicals) des substances très préoccupantes et son utilisation pourrait à terme être interdite.

La technologie étudiée par l’ONERA dès les années 1960 se situe entre la propulsion solide et la propulsion liquide, d'où le qualificatif "hybride". Le principe est de mettre en présence du polyéthylène (PE), solide, avec de l'eau oxygénée concentrée, liquide, passant à travers un lit catalytique, ce qui provoque une auto-inflammation. C'est l'énergie libérée par cette réaction qui est à l'origine de la poussée du moteur.

En 2011, le projet Perseus du CNES a vu le succès d'un lancement à 2 km d'altitude d'une fusée expérimentale fonctionnant selon ce principe. Par la suite, le programme gouvernemental des investissements d'avenir a donné l'occasion à l'ONERA de se rapprocher d'Airbus Defense & Space dans le cadre du projet Neosat, pour travailler sur un démonstrateur de moteur hybride. Les essais menés en 2012-2013 dans le caisson à vide du Laboratoire de Propulsion de l'ONERA ont permis de valider les caractéristiques du moteur (impulsion spécifique et rendement).

La collaboration s'est donc amplifiée au travers du projet actuel Hyprogeo, financé par le programme H2020 de l'Union Europénne. Sous la houlette d'Airbus Defense & Space, quatorze partenaires de sept pays européens différents se sont réunis pour développer un moteur à propulsion hybride destiné à la mise à poste des satellites, l'ONERA prenant en charge la conception d'une chambre de combustion innovante et les essais combinant l’ensemble des éléments développés par les différents partenaires pour cette nouvelle architecture de moteur hybride.

Développement d'un nouveau moteur

 

Dans l'architecture standard de ce type de moteur, la régression radiale de l'intérieur du tube de polyéthylène, progressivement entamé par la combustion, conduit à des performances non constantes. Pour remédier à ce défaut, le système conçu comprend un cylindre plein renfermant 100 kg de PE, qui est poussé au fur et à mesure pour maintenir constant la surface de combustion, même sur de longues durées de fonctionnement. On parle de moteur hybride « à régression compensée » par déplacement.

Le développement a notamment requis de maîtriser la chaîne d'approvisionnement en eau oxygénée, de mettre au point un lit catalytique et son anneau d’injection et de contrôler de multiples paramètres de fonctionnement du moteur.
Les 35 essais menés à l'ONERA ont duré de 50 s à 5 mn, dont 3 mn de fonctionnement nominal, ce qui est un record. Les mesures effectuées ont donné de précieuses informations sur la vitesse de régression et les conditions de fonctionnement, ce qui a permis d'améliorer la conception initiale.

En moins de trois ans, un démonstrateur de cette technologie innovante, baptisé MHYCAS a ainsi pu être développé et testé à l’ONERA, élevant le niveau de TRL de 1 à 4.  

Perspectives

Les suites de ce projet, achevé début mars 2018, dépendront des orientations stratégiques prises par les acteurs du spatial, lesquels semblent privilégier actuellement le tout électrique.
Toutefois, les moteurs hybrides pourraient équiper des microlanceurs destinés à la mise sur orbite de cubesats, à 220 km d'altitude environ, mais également servir à désorbiter les satellites en fin de vie. En effet, à la différence de la propulsion solide, la technologie hybride permet de contrôler le débit et de moduler ainsi sa poussée.

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