Un référent intégrité scientifique et éthique à l'ONERA

Le sujet de l'intégrité scientifique a pris une place importante parmi les préoccupations des organismes de recherche, alors que des affaires de manquement défraient régulièrement la chronique.  La récente nomination du référent intégrité scientifique et éthique de la recherche de l'ONERA est le signe que le centre de recherche s'est pleinement emparé de cette question.

Interview de Catherine Tessier, référent intégrité scientifique et éthique de la recherche de l'ONERA

Qu'est-ce qui vous a conduite à cette mission de référent ?

Catherine Tessier - référent intégrité scientifique et éthique de la recherche de l'ONERA Je m'intéresse depuis longtemps aux sujets liés à l'éthique, y compris du point de vue technique dans le domaine de l'intelligence artificielle. Avec ma collègue Claire Saurel et notre doctorant Vincent Bonnemains, nous nous penchons ainsi sur la modélisation formelle des cadres éthiques pour un agent autonome ou un robot. Par ailleurs, je fais partie depuis quelques années de différents comités d'éthique, tels la CERNA (Commission de Réflexion sur l’Éthique de la Recherche en sciences et technologies du Numérique d’Allistene – l'Alliance des sciences et technologies du numérique), qui est une commission d'éthique consultative intervenant au niveau national, ou le COERLE (Comité Opérationnel d'Évaluation des Risques Légaux et Éthiques  d’Inria (Institut national de Recherche en sciences du numérique).

L'ONERA était sensibilisé à la question : j'ai d’abord effectué une mission de préfiguration, entre le 1er septembre 2017 et fin février 2018, pour définir en quoi consisterait la mission d'un référent intégrité. Les propositions et préconisations présentées au comité exécutif de l'ONERA ont été  retenues pour la plupart. Résultat : le président, Bruno Sainjon, a ratifié la charte nationale de déontologie des métiers de la recherche le 20 juillet 2018. Puis, l'ONERA a décidé de se doter d'un référent intégrité scientifique et éthique de la recherche, et j'ai été nommée à ce poste le 1er octobre 2018.

Intégrité scientifique et éthique à l’ONERA

L'essentiel

  • Le président de l'ONERA, Bruno Sainjon,  a ratifié la charte nationale de déontologie des métiers de la recherche, le 20 juillet 2018.
  • Des actions de sensibilisation et de formation sont menées par le référent intégrité scientifique et éthique de la recherche de l'ONERA. Il s'agit de rappeler les bonnes pratiques et de mettre en garde contre les manquements qui peuvent aller jusqu'à la fraude.
  • Certaines pratiques du monde de la recherche doivent être remises en question car elles ne concourent pas à instaurer un climat favorable à l'intégrité scientifique. C'est par exemple le cas du recours exagéré à l'évaluation quantitative, que l'ONERA s'efforce de moduler par une prise en compte qualitative de l'activité des chercheurs.
  • Il est également indispensable d'appréhender les aspects éthiques des projets de recherche qui font désormais l'objet d'annexes spécifiques dans les dossiers de présentation aux organismes financeurs.

« Ma mission à l’ONERA consiste essentiellement à informer, conseiller, sensibiliser, éventuellement faire de la médiation s'il y a des conflits » explique Catherine Tessier. La sensibilisation passe par des sessions de formation que j’assure sur tous les sites de l’ONERA . La priorité est d’analyser ce qui, dans nos façons de faire, peut avoir une influence négative sur l'intégrité scientifique, et essayer d'améliorer progressivement ces points.
Par exemple, une réflexion est en cours avec la direction scientifique générale autour des cahiers de laboratoire, insuffisamment utilisés à l'ONERA. L'objectif : comprendre les raisons de cette désaffection et inciter les chercheurs à les utiliser, en leur en faisant comprendre l’importance.
Il faudra aussi réceptionner et instruire les éventuels signalements de manquements ou de méconduites.
Le rappel des principes et des bonnes pratiques est un moyen d'améliorer nos processus de recherche et de garantir la solidité des résultats de nos travaux. C’est un point crucial pour conserver la confiance de nos partenaires. Les mots clés sont : rigueur, honnêteté, intégrité, bonnes pratiques, reproductibilité des recherches, objectivité des résultats. Les mêmes questions se posent dans tous les organismes qui font de la recherche.

La course aux publications

L’une des questions importantes est celle de la paternité réelle des publications. Au plan international, il existe de fortes injonctions pour que les chercheurs signant une publication en soient véritablement les auteurs. Le système d'évaluation de la recherche a aussi tendance à avoir une influence négative sur l'intégrité scientifique.
L’évaluation sur le nombre de publications peut avoir des effets néfastes sur leur qualité et conduit potentiellement à des dérives. Il y a un progrès dans ce sens, puisque de plus en plus d'instances scientifiques prônent le fait de ne plus se limiter au seul critère quantitatif et aux index bibliométriques, qui sont de toute façon très biaisés, et de se fonder sur le contenu des publications pour évaluer la recherche mais aussi sur tout ce que fait le chercheur en dehors des publications. Par exemple, les trois académies des sciences française, britannique et allemande ont publié une déclaration conjointe en ce sens et la ministre de l'Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l'Innovation a rappelé dans son discours du 4 juillet 2018 qu'il fallait désormais s'éloigner de l'évaluation quantitative.  Ainsi, nous avons supprimé, dans le document de procédure de mise en œuvre des thèses à l'ONERA, un paragraphe qui fixait le nombre de publications attendues d'un doctorant, en le remplaçant par un critère qualitatif.

Pour ce qui est de l’éthique, les premières actions vont avoir pour objectif d’aider les collègues de l'ONERA à remplir des annexes éthiques obligatoires, pour les projets européens et ceux soumis à l’Agence Nationale de la Recherche. Il faudra ainsi former les chercheurs à la réflexion éthique, qui consiste à se poser des questions sur les recherches que l’on propose et leurs conséquences sur la société, l'environnement, l'être humain, etc.

Au commencement est l'éthique

Dans le domaine de l'éthique, il faut distinguer deux types de structures ayant des objets différents : les comités consultatifs et les comités opérationnels d'éthique.
Les comités consultatifs émettent des avis sur des grandes questions que posent les progrès de la science et leurs répercussions sur la société . Par exemple le CCNE (Comité Consultatif National d’Éthique), réfléchit à tout ce qui a trait à la vie humaine (PMA, fin de vie, numérique et santé, etc.) et est pleinement impliqué dans la révision de la loi de bioéthique. La CERNA a émis récemment des avis sur la recherche en robotique, sur les méthodes d'apprentissage automatique, mais aussi sur la souveraineté à l’ère du numérique
Les comités opérationnels d'éthique sont rattachés à une institution et sont chargés d'étudier des dossiers et des propositions d'expérimentations et de recherches. Les chercheurs les sollicitent afin d'obtenir une validation éthique, avant de publier ou de répondre à un appel à projets.

L'intégrité scientifique : un impératif

L'intégrité scientifique consiste en un ensemble de règles qui gouvernent la pratique de la recherche. Il existe en effet des bonnes pratiques et a contrario des mauvaises pratiques, voire des fraudes. Il est important de promouvoir une conduite intègre et honnête, qui est le fondement de la déontologie du chercheur. A priori, si les questions d'éthique font l'objet de débats, les questions d'intégrité scientifique ne se discutent pas. Le premier article de la charte nationale de déontologie de la recherche concerne d'ailleurs le respect incontournable des dispositifs législatifs et réglementaires.
Il existe différentes injonctions aux niveaux national et international qui conduisent à renforcer les dispositifs associés à l'intégrité scientifique.
La charte nationale de déontologie de la recherche, rédigée en janvier 2015, a été ratifiée depuis par plusieurs établissements d'enseignement supérieur et de recherche français. Suite au rapport de Pierre Corvol, qui faisait l'état de l'intégrité scientifique en France, la circulaire Mandon du 15 novembre 2017,  conseillait aux opérateurs de recherche, entre autres, de se doter d'un référent intégrité scientifique.
Le développement d'une politique de promotion de l'intégrité scientifique au sein des établissements devrait conditionner les financements de l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) et c’est d'ailleurs devenu l’un des critères pris en compte par le Haut Conseil de l'Évaluation de la Recherche et de l'Enseignement Supérieur (HCERES).
Au niveau international, les projets soumis aux instances européennes comprennent systématiquement une annexe qui traite des questions éthiques, mais aussi d'intégrité scientifique. L’ANR a suivi cet exemple, puisqu'il faut désormais démontrer que les différents partenaires d'un projet ont une politique de promotion de l'intégrité scientifique.
Quant au domaine des publications, les grands éditeurs ont désormais tous une page consacrée à la publication ethics, dans laquelle sont rappelées les bonnes pratiques que doivent respecter les auteurs  soumettant des articles.
Ainsi, la promotion de l’intégrité scientifique  est une dynamique générale qui s’applique à l’ensemble du secteur de la recherche. À un moment où certaines franges de la société ont tendance à dénigrer les scientifiques et où se développent les fausses nouvelles (fake news) et les vérités pseudo-scientifiques, il est indispensable de se prémunir de tout écart susceptible de remettre en cause la crédibilité de la recherche. C'est pourquoi l’intégrité scientifique est une « condition indispensable du maintien de la confiance qu’accorde la société aux acteurs de la recherche », comme l’affirme la circulaire Mandon.

Back to the list