Traquer les éclairs pour comprendre les nuages

L'Onera développe un dispositif permettant de suivre la création et le déplacement des éclairs dans les nuages. Le but : comprendre le fonctionnement des nuages, à travers les phénomènes électriques intenses qu'ils engendrent.

Numéro 16

10% seulement des éclairs frappent le sol et échappent aux mesures traditionnelles. Avec Profeo, la totalité de l'activité électrique des nuages d'Ile-de-France laissera une empreinte.
10% seulement des éclairs frappent le sol et échappent aux mesures traditionnelles. Avec Profeo, la totalité de l'activité électrique des nuages d'Ile-de-France laissera une empreinte.
L'étude de la foudre a bien changé depuis Benjamin Franklin et son cerf-volant. Pourtant, il reste beaucoup à apprendre de ce phénomène naturel qui présente aujourd'hui encore un risque pour les avions. Étudier la foudre n'est pas seulement utile aux spécialistes de l'aéronautique, c'est également indispensable pour comprendre complètement un nuage d'orage. L'activité électrique d'un orage provient des interactions entre les particules d'eau et surtout de glace : celles-ci se heurtent les unes les autres, ce qui déclenche des phénomènes électriques en fonction de leur vitesse et de leur quantité. Les champs électriques intenses ainsi créés dégénèrent en éclairs. "Nous pouvons donc envisager l'activité électrique des nuages comme un traceur d'activité météorologique au sens large", relève ainsi Alain Delannoy, chercheur au département de mesures physiques de l'Onera. C'est l'objet du programme Profeo (programme francilien d'étude des orages).
 

Durant l'orage, l'air près du sol est chargé positivemement et s'éleve jusqu'au sommet du nuage. Les charges négatives sont quant à elles portées par les précipitations et chutent. Ces concentrations et oppositions de charges finissent par produire des décharges, les éclairs, à la manière d'un condensateur qui claquerait.
Durant l'orage, l'air près du sol est chargé positivemement et s'éleve jusqu'au sommet du nuage. Les charges négatives sont quant à elles portées par les précipitations et chutent. Ces concentrations et oppositions de charges finissent par produire des décharges, les éclairs, à la manière d'un condensateur qui claquerait.

La vocation de ce programme est purement scientifique : ses appareillages et ses résultats seront à disposition de tous les organismes scientifiques d'Ile-de-France. Certes, ce n'est pas le seul programme d'études des éclairs, puisque Météorage, une société issue de Météo-France, a développé un système d'alerte sur toute la France. "Mais il ne répertorie que la foudre frappant le sol, soit environ 10 % des éclairs existants, et il n'étudie pas ses caractéristiques." précise Alain Delannoy. "Notre dispositif est destiné à connaître tous les éclairs d'Île-de-France, notamment les 90 % qui surgissent entre le haut et le bas d'un nuage ou entre deux nuages."

Le principe de la mesure : la goniométrie (mesure de la direction d'arrivée des ondes électromagnétiques) du même type que la technique utilisée lors de la seconde guerre mondiale pour localiser les personnes émettant des messages radio en direction de Londres. Il s'agit de détecter les ondes électromagnétiques dues aux éclairs à l'aide de trois ou quatre systèmes d'antennes installés sur des mâts. Comme ceux-ci sont éloignés les uns des autres, une onde électromagnétique provenant d'un endroit précis leur parvient à des instants différents, avec un angle différent. En étudiant ce décalage, on retrouve le point d'émission de l'éclair avec une résolution de 100 à 200 mètres. La date d'émission de l'éclair sera connue à 10 microsecondes près, ce qui permettra de distinguer plusieurs éclairs consécutifs du même nuage. « Nous pourrons ainsi analyser la structure tridimensionnelle de tous les éclairs, et comprendre comment ils se développent, se réjouit Alain Delannoy. L'éclair est une véritable tête chercheuse de champs électriques intenses. Comme certains durent plusieurs centaines de millisecondes, nous pourrons suivre leur création, leur développement, les endroits où ils se dirigent préférentiellement, etc." En superposant ces données avec celles des radars permettant de connaître la composition en eau ou en glace des nuages, il sera possible de comprendre comment les particules des nuages interagissent pour engendrer l'électricité.

Une antenne qui permet déjà de participer à la localisation de tous les événements électromagnétiques significatifs ayant lieu à l'occasion d'orages, dans la région du Plateau de Saclay (Essonne).
Une antenne qui permet déjà de participer à la localisation de tous les événements électromagnétiques significatifs ayant lieu à l'occasion d'orages, dans la région du Plateau de Saclay (Essonne).
"L'éclair est un moyen de diagnostic, il souligne les phénomènes les plus intenses qui ont lieu dans les nuages." Mais ces mesures ne sont pas si faciles à réaliser. Notre atmosphère est saturée d'ondes électromagnétiques très diverses, provenant aussi bien des radars des aéroports que des émetteurs de télévision, et le signal d'un éclair ne présente pas une caractéristique particulière qui le distinguerait des autres sources électromagnétiques. Il faut faire ressortir le signal de l'éclair de tout ce brouhaha électromagnétique. Pour cela, nous regardons particulièrement les fréquences les moins encombrées, et nous vérifions à plusieurs fréquences que nous obtenons le signal localisé au même endroit. Plusieurs laboratoires français et étrangers se montrent déjà intéressés par le projet Profeo.

 

Cécile Michaut, journaliste scientifique.

 

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