Décarbonation

Un système sophistiqué pour supprimer le flottement

Une équipe de chercheurs européens, dont des ingénieurs de l’ONERA, a réussi à résoudre un des défis importants de l’aéroélasticité : la suppression du phénomène de flottement d’un aéronef au moyen d’un système de contrôle actif.

Ces recherches ont été conduites dans le projet européen FLIPASED (Flight Phase Adaptive Aero-Servo-Elastic Aircraft Design Methods), dans le cadre d’un partenariat entre le DLR, le SZTAKI (l’institut d’informatique et d’automatique hongrois), l’ONERA et TUM (Université de Technologie de Munich).

Un des principaux objectifs : empêcher le phénomène de flottement au moyen de systèmes actifs : en utilisant des surfaces de contrôle de l’aéronef, des capteurs, et des lois de contrôle intelligentes. Le but était de déterminer à quel point ce principe de contrôle actif du flottement permettait de libérer la conception d’un avion pour, à terme, en réduire le poids.

Qu’est-ce que le flottement d’aéronef ?

Les aéronefs sont conçus au moyen de technologies permettant une construction légère, dans le but de réduire leur empreinte carbone en minimisant leur consommation de carburant. Cette construction rend la structure des aéronefs flexible, qui se déforme donc sous l’effet des forces aérodynamiques. Les développements actuels de nouveaux matériaux et de nouvelles méthodes de conception permettront aux futurs aéronefs d’être encore plus légers et donc encore plus souples.

Cette interaction entre les déformations d’une structure et l’écoulement aérodynamique qui l’entoure est appelée aéroélasticité. Dans le cas d’une structure souple, son comportement dynamique, c’est-à-dire sa manière naturelle de vibrer, est caractérisé par certains phénomènes. Sous certaines conditions, cette interaction peut devenir instable.

Ce phénomène bien connu, dénommé flottement, peut conduire à la destruction de l’aéronef par amplification rapide des amplitudes vibratoires. Il faut donc concevoir la structure de l’avion de manière à éviter le flottement dans le domaine opérationnel de vol de la machine, en tenant compte de marges de sécurité. Ce critère de conception tend à contraindre fortement la possibilité d’alléger les avions.

Atteindre cet objectif a nécessité la réalisation de plusieurs tâches : développer des méthodes et des outils de modélisation fidèle d’un avion souple, développer des algorithmes de contrôle d’un tel avion pour le faire voler au-delà de sa vitesse d’entrée en flottement naturelle et valider les outils et méthodes développés au moyen d’un démonstrateur économique et peu risqué.

Ceci a été démontré durant une campagne d’essais en vol d’un drone conçu spécifiquement dans ce but.

Vols d’essais à Cochstedt

Le vol d’essai de flottement est une vérification cruciale de la capacité d’un aéronef à être stable du point de vue aéroélastique, afin de garantir la sécurité de son fonctionnement.

Cet essai implique de soumettre l’aéronef à des tests contrôlés et systématiques afin d’évaluer ses caractéristiques en différents points du domaine de vol.

Les objectifs de cette campagne d’essais en vol étaient de confirmer la vitesse de flottement en boucle ouverte (vitesse de vol à laquelle le flottement se déclenche en l’absence de contrôle actif) ainsi que de démontrer la capacité de deux lois de contrôle différentes à garantir la stabilité de l’avion au-delà de la vitesse de flottement naturelle. Des équipes de chaque partenaire étaient présentes durant cette semaine d’essais, car il était clair que ceux-ci ne pouvaient être fructueux qu’au moyen d’un effort multidisciplinaire conséquent.

Procédure d’essai en vol

La semaine a commencé par un intense effort collectif de mise à jour des modèles aéroélastiques de l’avion avec les dernières données d’essais de vibration au sol (Ground Vibration Test – GVT). À partir de ces modèles, plusieurs méthodes d’analyse ont été employées pour estimer le type de flottement à attendre dans le domaine de vol du drone, ainsi que la vitesse de flottement associée aussi précisément que possible. Le mécanisme de flottement impliquait le couplage habituel entre des modes de vibration de flexion et de torsion de la voilure et indiquait l’apparition d’un flottement, à une vitesse de 56 mètres par seconde. Ensuite, les lois de contrôle basées sur ces modèles ont été validées pour les essais en vol au moyen d’un nombre important de simulations.

Voler au-delà de la vitesse de flottement

Un vol d’essai des lois de contrôle de flottement constituait logiquement l’étape suivante. Deux lois différentes ont été conçues. Une loi H-infini structurée, et une loi entrée-sortie H2 optimale mixte. Il a été décidé d’effectuer un vol dédié à chaque loi de contrôle, durant lesquels l’avion dépasserait la vitesse estimée de flottement de 56 mètres par seconde. Les autorités de l’aéroport, les pompiers et l’équipe FliPASED étaient préparés à prendre ce risque calculé, avec plusieurs plans d’action en cas d’échec.

Les deux lois de contrôle ont permis à l’avion de voler jusqu’à 61 mètres par seconde, bien au-delà de la vitesse de flottement. Ceci a constitué un succès majeur pour le projet.

Une question importante demeurait. L’avion présente-t-il réellement un comportement dangereux de flottement à 56 mètres par seconde ? Le parti a été pris de faire voler l’avion jusqu’à cette vitesse sans loi de contrôle anti-flottement, afin de confirmer ce que les simulations et les analyses OMA des vols précédents avaient laissé présager. Plusieurs protocoles de sécurité furent là encore mis en place. Durant le vol, alors que l’avion a atteint 56 mètres par seconde plus rapidement que prévu, en raison de conditions de vol très turbulentes, le flottement s’est déclenché, conduisant à un endommagement puis à la perte des poutres positionnées à l’arrière de la voilure et destinées à induire ce comportement de flottement. Cette rupture s’est révélée être un mécanisme de sécurité imprévu qui a permis de sauver l’appareil et de le ramener au sol en toute sécurité sans autre incident. Ce dernier vol d’essai a permis de confirmer les performances des lois de contrôle, et qu’une telle stratégie de contrôle actif permet de protéger des avions plus légers d’une instabilité de flottement.

Perspectives pour la communauté aéronautique

Les essais en vol ont démontré avec succès la capacité à supprimer le flottement sur un drone similaire à un avion commercial au moyen de systèmes actifs embarqués pour la première fois. Cette réussite indique un niveau de maturité de cette technologie sans précédent, garantissant sa faisabilité et son efficacité pour des avions commerciaux de nouvelle génération.

Enfin, le phénomène de flottement étant dangereux, on cherche généralement à l’éviter, ce qui rend les données expérimentales sur ce mécanisme très rares. Le projet FliPASED a donc pour but de non seulement communiquer sur les outils matériels et logiciels permettant le contrôle actif de flottement, la simulation et l’estimation en temps-réel de données, mais aussi de fournir une base de données ouvertes contenant des données de tous les vols d’essai. Ceci doit permettre à d’autres ingénieurs et chercheurs de développer et valider leur propres outils et méthodes, pour faire progresser l’ensemble de ce domaine de recherche.

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