L'interview
Comment travaillez-vous avec l’ONERA ?
Bruno Stoufflet : Notre collaboration concerne essentiellement la phase préparatoire des programmes. Avant de concevoir un nouvel appareil, nous devons être certains que nous comprenons bien les phénomènes physiques dont la maîtrise permettra de déterminer les performances de l’aéronef . Pour cela, nous développons des outils de prédiction de ces phénomènes. L’ONERA nous aide à les mettre au point et à les valider, à l’aide d’expériences reproduisant le plus fidèlement possible les phénomènes que l’on souhaite étudier, et dotées de nombreux instruments de mesure. L’atout de l’ONERA, c’est de combiner une expertise théorique et expérimentale, dans des domaines aussi variés que la mécanique des fluides, la thermique, l’électromagnétisme… C’est grâce à cette combinaison que nous pouvons valider nos outils de conception. Mais l’apport de l’ONERA ne se limite pas à la phase préparatoire : lors du projet lui-même, elle nous apporte son expertise en matière d’essais et d’approches alternatives, notamment en aérodynamisme et en électromagnétisme.
Par exemple, sur quoi avez vous collaboré récemment ?
BS : Nous étudions l’installation d’armement en soute, et non plus sous la voilure. Il nous faut donc comprendre ce qui se passe dans la soute, notamment la manière dont les écoulements sont perturbés, ou la manière dont la structure répond à ces perturbations. Ultérieurement, nous pourrons ainsi dimensionner la soute en fonction des contraintes qu’elles doivent tenir. Avec l’ONERA, nous travaillons sur des soutes simplifiées, afin de modéliser les phénomènes qui s’y déroulent, mais aussi de montrer que nos outils de prédiction sont suffisamment précis. Ces travaux sont en particulier destinés au futur drone furtif Neuron.
Dans le cas de l’avion d’affaires Falcon 7X, nous avons fait un travail de fond avec l’ONERA pour comprendre et modéliser les interactions entre le fluide (l’air) et la structure de l’avion. Le but est d’éviter d’exciter les modes de vibration de la structure, ce qui crée un tremblement inconfortable. Nous avons ainsi pu prédire ces phénomènes de tremblement, et optimiser la voilure pour les éviter.
Finalement, pourquoi une telle relation privilégiée entre Dassault et l’ONERA ?
BS : Certains industriels voient parfois l’ONERA comme un prestataire de services. Ce n’est pas notre cas : nous le considérons comme un partenaire de recherche. Il nous apporte son expertise scientifique, qui nous aide à acquérir la capacité à faire les bons choix. De notre côté, nous lui fournissons nos retours d’expériences : nous signalons ce qui fonctionne ou pas, nous indiquons les domaines où nous devons encore progresser, nous aidons à définir de nouveaux sujets de recherche. Il nous semble très important que les chercheurs de l’ONERA restent des experts scientifiques.
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Le Falcon 7X,
une réussite commerciale
A peine sorti des limbes, et déjà on se l’arrache. Le nouvel avion d’affaires de Dassault, le Falcon 7X, qui vient d’être certifié en avril 2007, a déjà enregistré plus de 150 commandes. « C’est une réussite commerciale », se réjouit Bruno Stoufflet, de Dassault Aviation. L’ONERA a notamment aidé à optimiser les « winglets », ces dispositifs courbés situés en bout d’aile, qui permettent d’améliorer l’aérodynamique de l’avion, et ainsi de diminuer sa traînée, donc sa consommation. Une fois le Falcon 7X conçu, la quasi-totalité des essais en soufflerie à basse et haute vitesse, sur des maquettes, ont été effectués à l’ONERA de Modane ou de Toulouse.
Neuron, furtif et autonome
Un drone furtif, capable d’emporter son armement en soute et de réaliser des missions autonomes, avec une supervision depuis le sol : tel est Neuron, un projet développé par Dassault Aviation. « Il s’agit d’un démonstrateur, et non d’un projet commercial, précise Bruno Stoufflet. Le but est de démontrer que nous savons construire un tel appareil, disposant de moyens de communication efficaces. Ce qui pose des problèmes d’intégration des antennes, qui ne doivent pas nuire à la furtivité. » Le projet a été préparé en amont avec l’ONERA, notamment sur ces questions de furtivité : il faut être capable de modéliser et prédire la signature électromagnétique de l’appareil. L’ONERA a également aidé à mieux comprendre les phénomènes vibratoires dans les soutes (cf. interview), et à préparer les moyens de contrôle de cet appareil qui n’aura pas de dérive, pour des raisons de furtivité. « Il nous faut repenser complètement le contrôle de l’avion », explique Bruno Stoufflet. Le premier vol du Neuron est prévu en 2011.
L’ONERA, bien plus qu’un prestataire
« Les thèmes que nous abordons en collaboration avec Dassault Aviation sont très variés : aérodynamique, qualité de vol, électromagnétisme… », indique Christophe Mathieu, directeur du développement aéronautique à l’ONERA. « Nous avons des compétences reconnues à l'échelle mondiale en matière de phénomènes environnementaux impactant les aéronefs, comme la foudre ou le givrage, et les modèles développés peuvent intéresser un avionneur comme Dassault. Nous participons par ailleurs au montage de projets en collaboration avec Dassault en vue d’obtenir des soutiens de la DGA ou de la DPAC ». Les retombées pour l’ONERA sont multiples. Elles sont d’abord économiques, bien sûr, puisque le volume d’activités à l’ONERA intéressant de près Dassault avoisine les 20 Meuros par an. Mais elles sont aussi scientifiques, car les projets portés par Dassault suscitent des problématiques scientifiques et techniques souvent complexes mais toujours passionnantes. La collaboration avec Dassault participe aussi à la stature internationale de l’ONERA, en particulier au sein de la communauté européenne.
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L'album
Le Falcon 7X en vol de démonstration, prêt pour la commercialisation ©Dassault Aviation / F. Robineau
Simulation numérique du "F7X" complet à l'ONERA © ONERA
Le nEUROn, vue d'artiste.
© Dassault Aviation / M. Alleaume
Maquette du nEUROn en incidence-dérapage monté sur balance-dard dans la soufflerie F1 de l'ONERA. © ONERA
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