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Fabrication dans l’espace : quand la science fiction rejoint la réalité

C’est un scénario digne de science-fiction, et pourtant il est en passe de devenir réalité. Scientifiques, entrepreneurs et acteurs majeurs du secteur spatial s’intéressent à l’in-orbit manufacturing, ou fabrication sur orbite, qui mise sur l’absence de pesanteur pour bâtir des édifices complexes directement dans l’espace.

25 septembre 2025

Création de médicaments, nouveaux matériaux ou même cultures de plants de vigne : pour un grand nombre de secteurs, l’espace serait un nouvel eldorado peuplé d’usines. L’ONERA et le CNES ont récemment mené une étude prospective sur l’avenir de ces activités, avec une échéance à 2050.

Utopie ou réalité ? Patrice Pierrat, directeur du centre de prospective et de veille aérospatiales (CPVA) de l’ONERA et Sébastien Lombard, Responsable Prospective au sein de la Direction de la Stratégie du CNES, le Centre national d’étude spatial, en parlent dans ce nouvel épisode d’On air : les voix de la recherche aérospatiale, un podcast de l’ONERA, en partenariat avec Ciel & Espace.

Construire des usines en orbite, fabriquer des matériaux impossibles à produire sur Terre ou encore cultiver de la vigne dans l’espace… longtemps cantonnées à la science-fiction, ces perspectives prennent aujourd’hui une dimension tangible. Le concept d’In-Orbit Manufacturing (IOM) – littéralement la fabrication en orbite – séduit de plus en plus les agences spatiales et les industriels.

Des premières expériences à la Station spatiale internationale

Loin d’être une idée neuve, la fabrication en orbite est explorée depuis les années 1970, au temps des stations Skylab ou Saliout. Les Américains et les Soviétiques testaient alors la soudure, la croissance de cristaux ou la production de semi-conducteurs en micropesanteur. Dans les années 1980, une première commercialisation a même eu lieu : des microbilles de latex produites à bord de la navette spatiale américaine.

La station spatiale internationale (ISS) a ensuite pris le relais, offrant un laboratoire unique pour les expériences en biologie, en sciences des matériaux ou en fabrication additive. En 2014, la NASA a testé une imprimante 3D de l’entreprise Made-In-Space, suivie en 2024 par l’arrivée dans l’ISS de Metal 3D, une imprimante développée par Airbus capable de produire des pièces métalliques. Des sociétés comme Redwire ou encore la station chinoise Tiangong ont à leur tour démontré la faisabilité de certaines productions orbitales. Mais pour l’heure, ces initiatives restent du domaine de la recherche : aucune véritable chaîne industrielle n’a encore émergé dans l’espace.

Pourquoi fabriquer dans l’espace ?

Les avantages de l’IOM se déclinent en deux dimensions. La première est tournée vers l’exploration : « make it, don’t take it », résumait la NASA. Plutôt que de tout emporter depuis la Terre, il est plus simple et parfois vital de fabriquer directement en orbite les pièces de rechange nécessaires à la survie des équipages. Cela pourrait concerner des outils, des antennes, des panneaux solaires ou encore des modules de station.

La seconde dimension intéresse directement la Terre. La micropesanteur permet de contourner certaines limites physiques de la gravité terrestre, ouvrant la voie à des matériaux aux propriétés inédites : fibres optiques de très haute qualité, alliages métalliques innovants, semi-conducteurs ultrapurs, ou formulations pharmaceutiques révolutionnaires. Encore faut-il que le coût élevé de la production orbitale se justifie par une valeur ajoutée exceptionnelle.


La capsule Varda W-1 (en partie haute), ici en intégration, a mené en 2024 des expériences en orbite sur le médicament anti-VIH Ritonavir
© Rocket Lab

L’heure de la prospective : imaginer 2050

Conscients de l’importance stratégique du sujet, l’ONERA et le CNES ont réuni en 2023-2024 un groupe de travail réunissant startups (Orbital Matter, Space Pharma…), grands industriels (Airbus, Thales, Sanofi, Corning) et chercheurs. Objectif : esquisser les futurs possibles de l’IOM.

Quatre scénarios prospectifs ont émergé, selon deux variables incertaines : la présence humaine dans l’espace et le développement de la logistique orbitale.

  1. Living in Orbit : une forte présence humaine, mais une logistique limitée. L’IOM sert surtout à soutenir les équipages et à préparer les missions vers Mars.
  2. Les Temps modernes : le scénario optimiste, avec stations privées, bases lunaires et une véritable industrie spatiale fournissant aussi la Terre.
  3. Caring for Earth : faible présence et faible logistique. L’IOM reste une activité de niche, cantonnée à quelques applications scientifiques.
  4. La banlieue de la Terre : logistique puissante mais peu d’astronautes. La production est largement robotisée, tournée vers les infrastructures spatiales et quelques produits de haute valeur.

Des recommandations pour préparer l’avenir

Au-delà des scénarios, le groupe a formulé plusieurs recommandations pour préparer l’avenir :

  • Soutenir l’exploration habitée par des technologies de fabrication additive et de recyclage
  • Développer la robotique spatiale autonome, indispensable pour assembler et maintenir de grandes structures en orbite
  • Mieux faire connaître les opportunités de la recherche en micropesanteur auprès des acteurs non spatiaux
  • Inscrire l’IOM dans une logique de durabilité orbitale, en standardisant les pièces pour favoriser la réparation et le recyclage

Les bras robotiques spatiaux VISPA (Versatile In-Space and Planetary Arm) d’Airbus Defence and Space pour la réalisation d’opérations en orbite
© Airbus Defence and Space / tiré de la vidéo de démonstration

Des évolutions rapides

Depuis la conclusion de l’étude, l’actualité a déjà rattrapé la prospective. Les essais répétés du Starship de SpaceX – capable de mettre 150 tonnes en orbite à coût réduit – pourraient révolutionner la logistique spatiale.

La Chine, de son côté, multiplie les annonces sur les centrales solaires orbitales, capables de transmettre de l’énergie vers la Terre. Autant de signaux qui laissent penser que la fabrication en orbite, encore balbutiante, pourrait connaître une accélération brutale dans les prochaines décennies.

Un futur à écrire

De l’utopie d’Isaac Asimov aux ambitions de SpaceX, l’histoire de l’IOM illustre la frontière poreuse entre science-fiction et prospective scientifique. Si les obstacles techniques et économiques demeurent, la perspective d’usines orbitales capables de produire pour l’espace comme pour la Terre est désormais prise au sérieux par les plus grands acteurs du spatial. Reste à savoir quel futur s’écrira à l’horizon 2050.

Objectifs

Fabriquer dans l’espace ce qu’on ne peut pas emporter depuis la Terre : pièces de rechange, structures géantes ou matériaux inédits. Un pari scientifique et industriel qui se dessine déjà.

Enjeux

Autonomie des missions, innovation médicale et technologique, percées scientifiques et compétitivité industrielle : l’IOM pourrait transformer à la fois l’exploration spatiale et l’économie terrestre.

En savoir plus

Produire dans l’espace ?

Par Auriane Decker, Sébastien Lombard et Patrice Pierrat

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