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La goutte et le moteur

Et si l’on pouvait réduire la consommation des moteurs aéronautiques en contrôlant l’évaporation des micro-gouttes de kérosène ?

24 mai 2010

Numéro 43

Sur ce banc on reproduit l'évaporation des gouttes de carburant dans les conditions des moteurs. Des techniques laser permettent d'en mesurer toute la dynamique. [Photo Antoine Gonin]
Sur ce banc on reproduit l'évaporation des gouttes de carburant dans les conditions des moteurs. Des techniques laser permettent d'en mesurer toute la dynamique.
[Photo Antoine Gonin]

« Dans un moteur thermique classique, automobile ou aéronautique, le carburant est injecté sous la forme d'un brouillard de gouttes dans la chambre de combustion où, sous l'effet de la chaleur, ces gouttes s’évaporent et la vapeur ainsi formée se mélange avec l'air avant de s'enflammer » explique Frédéric Grisch, chercheur du département Mesures physiques et coordinateur côté Onera du Projet fédérateur aérospatial CNRS-Onera (PFA « Méthodes d’analyse et d’expérimentation des brouillards multi-composants »).

L’évaporation des gouttes est une étape clé : s'il reste par exemple des gouttes de combustible liquide dans la chambre, elles brûleront mal voire pas du tout, avec des effets négatifs sur la consommation et les émissions polluantes.


Visualisation par imagerie de fluorescence de la phase liquide du brouillard de gouttes.

C’est un phénomène complexe, au croisement de nombreuses disciplines - aérothermie, mécanique des fluides, chimie, transfert de masse et de chaleur... Ainsi, les micro-gouttelettes de combustible projetées sous forme de brouillard contiennent des centaines d’espèces chimiques différentes, qui ne s'évaporent ni à la même vitesse ni à la même température. Pour aider les industriels dans la conception de meilleurs systèmes d’injection, il était nécessaire d'aller plus loin dans la compréhension des phénomènes mis en jeu. D'où le lancement de ce PFA, dont « l'objectif est à la fois d'améliorer la connaissance, mais aussi de développer un modèle de calcul qui puisse un jour servir aux industriels » précise Frédéric Grisch.

Vu l’importance de la phase d’évaporation dans le rendement de la combustion, c’est bien le brouillard de gouttes qu'il faut analyser sous toutes les coutures (tailles et vitesses des gouttes, température moyenne, distribution de température au sein de la goutte, vitesse de l'écoulement...) pour comprendre comment les gouttes se comportent en passant de l'état liquide à l'état gazeux. Or, celles-ci possèdent une taille comprise entre 1 et 100 microns, et se déplacent très vite sous l'effet des turbulences d'air chaud. Autant dire qu'il n'est pas vraiment facile de les saisir au vol !

Distribution de température dans une goutte : mesure par LIF (Laser Induced Fluorescence)
Distribution de température dans une goutte : mesure par LIF (Laser Induced Fluorescence)

D'où l'intérêt de mobiliser des équipes du CNRS et de l'Onera qui possèdent d’excellentes expertises complémentaires dans les différentes techniques de mesures et de visualisation pour pouvoir "flasher" aussi bien les phases liquides que les phases gazeuses. Citons la vélocimétrie par images de particules (PIV), la granulométrie laser (Phase Doppler Anemometry – PDA), la fluorescence induite par laser (LIF).

Le projet s'est organisé autour de deux expériences pilotes. La première expérience -  de calibration, a consisté en l’étude de l’évaporation d’un « train de gouttes » - une succession de gouttes de taille et vitesse identiques, les unes à la suite des autres. Une équipe a d'abord spécifié et mis au point un injecteur, que chacun a pu utiliser au cœur de ses propres installations de mesure. « Cette première étape nous a permis de prendre nos marques, de mettre au point nos techniques de mesure adaptées à l'évaporation, de les tester et de comparer les premiers résultats avec la simulation » explique le chercheur. Puis les équipes se sont attelées à une seconde expérience, plus proche des conditions existant dans un moteur. Il s’agissait d’utiliser les mêmes techniques de mesure mais sur un brouillard de gouttes injecté dans un écoulement d'air dont la turbulence était à la fois connue et bien maîtrisée.


Simulation numérique de la dynamique de l’évaporation d’une goutte dans un jet de gouttes dites monodisperses

Au passage, il a fallu développer une technique de fluorescence plus adaptée au brouillard. Les spécialistes en énergétique en ont profité pour intégrer les programmes et modèles d’évaporation développés pour le train de gouttes à l'intérieur du code Cèdre — la plateforme logicielle multiphysique de l’Onera pour la simulation d’écoulements réactifs. Cette équipe a ensuite pu simuler l’évaporation dans les conditions de cette deuxième expérience, puis confronter les résultats à ceux obtenus par les mesures lasers.

Au final, les contributeurs du projet le considèrent comme un vrai succès, notamment vis-à-vis de ce qu’il a apporté à la compréhension du phénomène d’évaporation, et grâce aux progrès rendus possibles en matière de simulation. « C'est un vrai succès sur le plan scientifique. Le projet a notamment donné lieu à 20 publications dans des revues à comité de lecture, et 51 communications dans des congrès. Et sur le plan humain, nous avons constitué un vrai réseau de coopération. Tout le monde a apporté quelque chose et a bénéficié de l'intervention des autres » conclut Fabrice Lemoine (Lemta-Nancy), coordinateur du projet côté CNRS.

Visualisation d’un brouillard de gouttes de combustible par imagerie de fluorescence (PLIF).
Visualisation d’un brouillard de gouttes de combustible par imagerie de fluorescence (PLIF).

Comparaison théorie/expérience du spectre de diffusion
Comparaison théorie/expérience du spectre de diffusion "arc-en ciel" d’une goutte de 80 µm de diamètre et d’indice de réfraction égal à 1,37553

 

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