Des radars à l'écoute des séismes

Prendre de la hauteur pour détecter les tremblements de terre. Le projet mené par l'Onera et l'Institut de physique du globe analyse les mouvements de l'atmosphère engendrés par les séismes pour dépister ces derniers. Ces méthodes d'altitude permettent de mesurer la sismicité de notre planète jusqu'aux endroits inaccessibles.

Numéro 10

Tout séisme survenant dans la zone de vision du radar transhorizon peut être détecté, et mesuré.
Tout séisme survenant dans la zone de vision du radar transhorizon peut être détecté, et mesuré.

 
Aristote pensait que les tremblements de terre étaient dus aux vents chauffés par le soleil. Idée fausse, car le savant grec ne connaissait pas les forces à l'oeuvre au sein de la terre elle-même. Pourtant, sa démarche considérant la terre et l'atmosphère comme un ensemble indivisible n'était pas stupide. Longtemps, les sismologues se sont contentés d' "écouter" les mouvements internes de la terre, sans se préoccuper de l'atmosphère, tandis que les spécialistes de l'atmosphère négligeaient ce qui se passait sous leurs pieds. Aujourd'hui, certains tentent de détecter les tremblements de terre en mesurant les mouvements de l'atmosphère.
Tels des médecins de notre planète, les sismologues réalisent de véritables échographies du sous-sol, en mesurant des ondes sismiques et en analysant la manière dont elles se propagent sous terre. Cette méthode est très efficace, à condition de posséder de nombreux lieux d'écoute bien répartis sur toute la terre. Or, les mers, qui représentent 71 % de la surface de notre planète, sont inaccessibles, sans parler des pays pauvres ou en guerre qui n'ont pas les moyens de réaliser de telles écoutes. Même en Europe, nous sommes loin de disposer d'un réseau d'écoute sismique comparable à celui des Etats-Unis qui possèdent un millier de stations. Dès lors, pour rattraper notre retard, nous pouvons installer un tel réseau, mais il est coûteux, ou bien encore tenter de détecter différemment les tremblements de terre.

" Lorsque la Terre subit un séisme, elle vibre avec certaines fréquences caractéristiques, telle une corde de guitare ", explique Giovanni Occhipinti, qui effectue son travail de thèse sur cette détection atmosphérique des séismes à l'Institut de physique du globe de Paris (IPGP) en partenariat avec l'Onera. " Cette vibration se transmet à l'atmosphère, amplifiée 10 000 à 100 000 fois à 200 kilomètres d'altitude. Ainsi, un déplacement d'un millimètre par seconde au sol provoquera un mouvement de 10 à 100 mètres par seconde dans l'atmosphère. On peut donc détecter les tremblements de terre en observant les mouvements des couches atmosphériques." La mesure des mouvements atmosphériques à plusieurs dizaines ou centaines de kilomètres d'altitude n'est pas aisée. Et pourtant, le principe fonctionne. " Nous envoyons des ondes électromagnétiques de basses fréquences vers l'atmosphère. Elles sont réfléchies par les couches de l'atmosphère les plus ionisées, qui constituent l'ionosphère, et sont réceptionnées au sol par un récepteur. Nous mesurons les déplacements de l'atmosphère par effet Doppler, de la même manière que les gendarmes mesurent la vitesse de notre voiture ", note le chercheur. Pour l'instant, la validité de cette méthode a été mise en évidence en utilisant des sondeurs doppler qui, munis d'un émetteur et d'un récepteur au sol, ne sondent l'atmosphère qu'en un seul point situé à mi-chemin entre l'émetteur et le récepteur.
Pour observer le front d'onde de surface engendré par un tremblement de Terre, Giovanni Occhipinti utilise un radar unique au monde baptisé Nostradamus. Ce radar est monostatique (l'émission et la réception sont situés sur le même site) et omni-directionnel (la direction de visée varie de 0 à 360 degrés). Celui-ci utilise des ondes basse fréquence, dont la longueur d'onde est de l'ordre d'une dizaine de mètres. A ces fréquences, le signal émis par le radar est réfléchi sur l'ionosphère, cette dernière se comportant comme un miroir. Lorsque ces ondes frappent le sol, une partie d'entre elles sont renvoyées vers le radar en suivant le même chemin qu'à l'aller.
Les antennes d'émission-réception du radar transhorizon NOSTRADAMUS, près de Dreux
Les antennes d'émission-réception du radar
transhorizon NOSTRADAMUS, près de Dreux

 

Le radar présente deux avantages : on peut sonder à chaque instant une grande surface, typiquement un carré de 500 kilomètres de côté, on peut choisir la direction de visée. Il est possible de détecter et suivre l'évolution du séisme en balayant sur une couronne circulaire de 1000 kilomètres de rayon en plein centre de l'Europe.

La précision reste bien sûr bien moindre comparée à celle obtenue grâce aux écoutes sismiques classiques, mais l'utilisation du radar remplace un très grand nombre de stations sismiques. " Cette méthode permet d'avoir une densité de points de mesure unique, équivalente à un sismomètre tous les 5 kilomètres ", souligne le scientifique. Enfin, grâce aux connaissances acquises issues de ces mesures atmosphériques, Giovanni Occhipinti espère déterminer de nouvelles stratégies pour analyser la sismicité des autres planètes via leur atmosphère, ce qui est plus facilement abordable que leur surface. Il s'intéresse ainsi à la planète Vénus, qui possède elle aussi une atmosphère, plus dense que celle de la Terre. Mais pour le moment, Giovanni Occhipinti attend un séisme de magnitude suffisante sur terre afin de tester les performances de cette nouvelle technique d'écoute des séismes avec le radar Nostradamus.

Front onde surface
Modélisation du passage d'une onde acoustique généré par le séisme d'Izmit (17 août 1999, Turquie). Trois hauteurs différentes (50, 100, 150 km) sont représentées pour trois instants différents qui vont évoluer en temps de la droite vers la gauche. L'image montre bien les dimensions physiques du phénomène et aussi sa propagation particulière avec une vitesse différente selon la direction de propagation: il se propage verticalement avec la vitesse du son (~400 m/s) et horizontalement à la même vitesse que l'onde sismique à la surface de la Terre (~3.5 km/s).

 

Cécile Michaut, journaliste scientifique.

 

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